Dans un texte intitulé "C’est la faute à Voltaire, c’est la faute à Rousseau…", Gérard Denecker revient sur l'élection présidentielle et sur l'évolution du paysage politique qui va nécessairement en découler.
"Dimanche 6 mai, les résultats viennent de tomber, et Ségolène Royal s’adresse aux Français. Pendant son intervention, sous les sunlights de la télévision, un visage se crispe sous un masque d’hostilité. S’agit-il d’un adversaire de la candidate, pas du tout, mais d’un socialiste en mission de représentation : visiblement pressé d’en découdre, il se laisse aller à des commentaires acerbes, blessants, touchant aussi son Premier secrétaire, François Hollande : commentaires qui tombent comme un couperet en critiques méprisantes sur les « coupables » montrés du doigt sans délai … Je pense soudain à Gavroche qui chantait sous la mitraille « c’est la faute à Voltaire ». Ce soir, c’est encore la faute aux autres, mais celui qui chante n’est pas sous la mitraille, il a passé de l’autre côté…
Et voilà que s’immisce dans le débat post-électoral un projet qui n’a encore jamais été l’objet d’un débat dans les sections du PS, celui de la sociale démocratie. Qui a eu le courage, ou l’audace, jusqu’à ce jour de proposer le choix de la social-démocratie aux militants socialistes et de soumettre à leurs votes des propositions idéologiques et statutaires en ce sens ? Jamais un congrès, pourtant seul habilité à en décider, n’a vu ce sujet figurer à son ordre du jour … Courageux, mais pas téméraire !
Et voilà que parallèlement est réactivé le thème de l’union de la gauche. Mais cette union, même en y incluant l’extrême gauche qui se refuse d’ailleurs à en être, ne représente plus aujourd’hui que 35 ou 36% du corps électoral. Ne sommes-nous pas là au coeur du problème : le PCF, allié privilégié du PS, a perdu depuis Epinay 90 % de son influence. En a-t-on tiré les conséquences et avancé des propositions de stratégie politique et de rapprochement électoral ? Courageux, mais pas téméraire !
Eructations post-électorales d’ex-candidats à la candidature écartés par les militants socialistes ? Obsession de la revanche ? Je ne sais, mais je me demande si notre parti qui se réclame de la fraternité va encore être traversé de nouvelles et stériles querelles de personnes. Comme si l’existence de courants de pensée était rivée à ces querelles ! Triste désillusion pour des militants de la solidarité que de réaliser à quel point le trop d’individualisme dénoncé dans la société d’aujourd’hui touche encore et malgré eux leur propre parti.
Et qui plus est, les tentations machistes, encore présentes dans la société d’aujourd’hui, se mêlent à ces querelles. …« Sans doute, comme l’écrit Frédérique Matonti (Le Monde du 11 mai 2007), dans nos imaginaires travaillés par des siècles de domination masculine, une femme ne peut pas être vraiment compétente dans le domaines régaliens que sont les finances, la politique étrangère ou l’armée » …
Oui, il y a pour demain matière à débattre, matière à dresser un bilan, matière à dégager des perspectives nouvelles, et ce débat s’ouvrira dès l’automne. Pour l’heure, il s’agit de convaincre les Français que des contre-pouvoirs à l’Assemblée sont indispensables face à un pouvoir impérial qui s’installe. La courageuse initiative de Ségolène Royal de débattre avec François Bayrou a fait bouger les lignes bien plus que les discours nostalgiques sur la social-démocratie ou l’union de la gauche. Les ruptures intervenues à l’UDF en témoignent. Alors, pour être pragmatique, plutôt que ces chamailleries, il faudra bien rassembler au second tour toutes celles ceux qui sont prêts à résister au nom d’un état impartial, de la solidarité, de la justice sociale et de la République tout simplement !
Ne nous racontons pas des sornettes : le soir du 10 juin sera une nouvelle heure de vérité : même si encore aujourd’hui, on se refuse à en parler d’un côté comme de l’autre, le PS et le Mouvement Démocrate accepteront-ils d’additionner leurs forces face aux candidats UMP ? Ce sera le choix de la responsabilité et de l’efficacité !
Socialiste de toute une vie, il était primordial pour moi de contribuer à relever le gant tombé en 2002 et de voir notre candidate accéder au second tour. C’est dans cet esprit que j’ai dénoncé les contradictions de l’UDF entre son discours et les liens de ses élus avec l’UMP et que j’ai désapprouvé l’initiative tardive et malvenue de mon vieil ami Michel Rocard, et cela m’a coûté. Aujourd’hui, grâce à Ségolène Royal, le paysage politique est en train de bouger. Qui d’autre aurait été capable de faire preuve en la circonstance d’un sens politique aussi affiné ?
Epinay serait-il « obsolète » ? Ce n’est pas le problème, c’est une page de notre histoire, je l’ai vécue et j’en conserve le souvenir. Du « programme commun » aussi. Je mesure simplement le risque pris en 1972 d’un compromis avec un parti communiste plus puissant que nous et dont l’attitude 4 ans plus tôt lors de la normalisation de Prague en 1968 n’avait pas été des plus claires… Comparativement, je me dis que si le 17 juin les électeurs du MoDem se trouvent à nos côtés face à la droite, ce qui nous séparera ne sera sûrement pas plus important que ce qui nous séparait de nos alliés communistes dans les années 70 !
En tout cas, le rappel de notre histoire est pour nous une leçon à méditer !"
Gérard Denecker était membre du Comité Directeur du PS lors du Congrès d'Epinay.